J’étais dans un état d’effervescence absolue, calculant tout jusqu’au moindre détail pour faire plaisir à nos clients. Le mieux, dans tout ça, c’est que je ne devais rien faire d’autre que de donner des ordres aux employés pour que tout soit parfait. Pas besoin de retrousser mes manches, ils faisaient tout à ma place, certes, ce n’était pas toujours aussi bien que si je l’avais fait de mes propres mains, mais si cela me dérangeait trop, je pouvais leur tuer le moral en leur demandant de recommencer à zéro. Jouissif. J’adorais leur mettre la pression, les faire accélérer le mouvement jusqu’à ce qu’ils en tremblent. J’étais un vrai tyran et, waw, j’en étais tellement fier ! Les soirées étaient pour moi le moment rêvé pour être le plus horrible et sadique qui soit. Qu’y avait-il de mieux pour stresser notre petit personnel bourgeois, qui devait travailler dur en sachant qu’au final, il ne pourrait même pas participer aux festivités ? A l’approche de ce jour béni (maudit pour d’autres), j’exultais, inventant déjà à l’avance des milliers de torture : les faire compter le nombre de paillettes pour décorer le buffet ? Les faire accrocher une banderole très haut puis, finalement, décréter que c’était mieux un millimètre plus bas ? J’avais toujours hâte, et le thème de cette soirée m’enchantait énormément.

Il ne restait plus que quelques minutes avant d’autoriser l’accès au grand salon aux vacanciers. Certains allaient probablement se précipiter sur le buffet, si bien garni. D’autres s’assiéraient dans un coin en attendant qu’on les invite à danser sans que jamais personne ne les remarque. D’autres encore seront le centre de l’attention durant toute la nuit, s’emparant de la piste de danse aménagée exprès pour cette occasion. Je tapai dans les mains, pour que les sous-fifres s’activent un peu. Il fallait toujours faire du bruit pour qu’ils réagissent, sinon, ils se rendormaient sans que l’on n’y prenne gare. Des saletés, je vous dis. Je priai un de ces pauvres choux d’ouvrir la baie vitrée donnant sur le parc pour que l’on ne manque pas d’air et il soupira, ce qui eut pour effet de recevoir maintes et maintes autres tâches à accomplir en un rien de temps. L’heure arrivait à grands pas.

Le tango était une de mes danses favorites, pour ne pas dire ma préférée, purement et simplement. Après tout, cela venait d’Argentine, et c’était la plus belle qui existait à mes yeux. La plus sensuelle, la plus passionnelle, un délice pour les pupilles. Malheureusement, je devrais aujourd’hui me contenter de surveiller les employés, et, de temps en temps, apprendre des pas complexes à des débutantes, ce qui ne m’amusait pas vraiment. Enfin, j’espérais qu’il y ait quelques bons danseurs dans l’assistance pour que je ne m’ennuie pas trop. Dix-neuf heures sonna et j’allai me poster près des portes pour accueillir les clients. Les premiers entrèrent, interloqués. Sans doute ne reconnaissaient-ils pas cette pièce telle qu’elle était à présent. La plupart des meubles avaient été bougés, seules quelques chaises étaient disposées par-ci, par-là pour les plus fainéants. La décoration était sublime, toute de rouge et de noir, de dentelles, de pétales de roses, et encore bien d’autres choses. Un mini orchestre s’était mis à jouer la musique adéquate dès leur entrée, ils n’avaient plus qu’à s’amuser. Je leur souhaitai donc aimablement une bonne soirée à chacun.

Mes jambes se balançaient dans le vide, tandis que je regardais vers le bas. Si je tombais, je me ferais vachement mal. Mais bon, cela n'allait pas arriver, car j'étais toujours optimiste et que je pensais bien tenir dans mon arbre magnifique. Pourquoi est-ce que j'étais assise dans un arbre ? Tout simplement parce que je l'avais rencontré un jour, et qu'il m'avait plu. Je me suis mise à venir lui parler, à lui tenir compagnie régulièrement, ou juste à me reposer à son pied. Je révisais mes cours entre les branches et je chantais pour les passants qui me prenaient pour une folle. Mais à ce moment là, ce n'était pas pour mon plaisir que j'étais assise maladroitement entre les branchages, mais bien parce que cet arbre allait être coupé. Cela faisait maintenant bien plusieurs heures que j'y étais sur mon ami, en train d'essayer de négocier avec le gars à la tronçonneuse, qui n'osait pas couper avec moi perchée. C'était totalement compréhensible, et aussi pourquoi je faisais cela. « Tu peux partir, je te jure que je mourrai de faim sur cet arbre si j'ai à le faire ! » « Allez descend petite .. » « Je ne suis pas petite ! » Je prenais un air vexé de petit enfant et m'accrochais à une branche à côté de moi comme pour montrer que je ne descendrai jamais.

« T'as gagné, je m'en vais. » « Je ne descendrai pas tant que votre camion sera loin, vous ne me duperez pas ! » L'homme, dans la quarantaine et avec un surpoids visible, surement à cause de la bière étant donné son ventre, se résigna enfin et prit la direction de son camion. Je le regardais s'éloigner dans la rue et restais encore une petite demi heure dans mon arbre pour être sure qu'il ne reviendrait pas. Enfin, je sautais à terre et m'écrasais comme une grosse crêpe, quelle maladresse. Heureusement rien de cassé, seulement un bleu et une égratignure à mon genou, je me relevais comme un enfant qui n'en avait rien à faire et commençait à gambader joyeusement dans le parc. Je ne savais pas ce que j'allai faire ensuite, il était vrai que j'avais prévu que le coupeur d'arbres soit vraiment plus têtu que cela. Finalement, je me dirigeais vers l'hôtel qui en ce moment était bombé, pour faire de nouvelles connaissances ou embêter quelque personne. Toujours en sautillant, je me dirigeais vers l'établissement qui était, il fallait le dire, impressionnant, et entrais à l'intérieur comme si j'étais moi même une cliente.

Je vivais ici depuis toujours alors je connaissais bien tous les endroits de la ville, ceux où on pouvait entrer librement, et ceux où .. l'on ne pouvait pas. Combien de fois m'étais-je fait éjecter d'une soirée ? Tant mieux pour moi de toute façon, je n'étais pas vraiment branchée fêtes comme la plupart des jeunes. J'aimais bien danser et m'amuser, mais dès que cela incluait alcool et drogues, je m'éclipsais très rapidement. Alors que je me baladais dans l'établissement, je commençais à entendre une musique qui était inhabituelle. Disons que ce n'était pas ce que des hauts parleurs diffusaient normalement, pas une station de radio ou autre chose. De la musique, pour danser surement. Cela tombait bien ! J'adorais danser. Je courais vers la musique et me retrouvais bientôt dans le grand salon, où une musique qui était faite pour le tango résonnait. Je ne savais pas le danser, mais n'importe, j'allais sur la piste de danse et faisais mes mouvements toute seule. J'avais peut-être l'air ridicule, mais je m'amusais.